J’avais 12 ans, Yves Uzureau nous fait faire des petits textes, surtout du Fernand Raynaud… un peu étonnant pour l’époque, mais c’était bien écrit et plutôt marrant pour débuter le théâtre. Je me découvre une passion : le théâtre !
L’année suivante l’école décide de monter un spectacle de fin d’année. Je me propose pour gérer le spectacle et aider le metteur en scène. Pendant 3 ou 4 mois, je n’ai fait que ça ! Du théâtre mais sous toutes ses formes : l’écriture, l’aide à la direction de plateau, la prise de note, le jeu… J’écrivais la pièce sur un petit Macintosh. A un moment je sais plus trop ce que je fabrique, mais je mets mon fichier dans la poubelle du Finder… Le drame… J’appelle mon frère, pour lui dire que j’ai fait une boulette, car je viens de vider la corbeille. “Ok, rien de dramatique, est-ce que tu as vidé la corbeille ?” “bhè oui…” “ok, alors il ya encore une chance, est-ce que tu as redémarré l’ordinateur ?”, “oui”… “ ah bhè dommage… c’est perdu alors”… Voilà, faut tout retaper… Alors c’est vrai qu’aujourd’hui à 50 ans, j’ai une certaine aisance sur un clavier… Mais à quel prix !
Enfin, on n’est pas là pour ça : ce moment de profonde solitude face au rouleau compresseur de froideur de l’informatique. Non l’ordinateur n’a pas tort, c’est toi qui a mal fait. Connard !
Or donc, me voilà, à 13 ans, à la tête d’un petit spectacle avec une petite centaine d’enfants de la maternelle au lycée… Il nous faut une salle pour jouer.
Comment on fait ? Y’à un Macintosh, mais y’à pas encore le World Wide Web… Allez, zou, les pages jaunes…
13 ans, à Paris, tu cherches une salle pour faire une représentation d’une école, avec 100 gamins et donc environ 300 à 400 spectateurs et puis on n’a pas beaucoup de sous, donc si ça peut être gratuit.. ou pas cher…
A 13 ans, on ne doute de rien… Enfin, en tout cas, moi je ne doutais de rien.
Je m’enferme dans une pièce, je prends les pages jaunes… et j’appelle :
- le théâtre de l’Empire (“mesdames et messieurs sous vos applaudissements !“)
- le théâtre de la Madeleine
- le théâtre du Soleil
- …
Et qui me répond “pourquoi pas, pourriez-vous passer me présenter votre projet” ?…
Le théâtre du Soleil…
J’avais choisi ce théâtre parce que je trouvais le nom joli : Soleil. Forcément les gens qui ont une salle qui s’appelle le théâtre du Soleil sont des gens sympas…
Je fais part de mon contact au metteur en scène et hop nous voilà parti au rendez-vous.
Là, nous sommes accueillis dans cet immense lieu à la Cartoucherie de Vincennes. C’est beau, c’est grand et la dame est très gentille. On lui explique notre spectacle, elle écoute avec patience et attention. Finalement elle nous explique qu’elle ne peut pas, car si elle accepte elle se retrouvera avec beaucoup trop de demandes. Elle nous souhaite bonne chance (enfin je crois, je ne me rappelle plus en vérité). Je n’étais pas absorbé par la conversation, moi, j’étais juste là, ébahi… Pourquoi une dame qui a une si grande salle a accepté de nous recevoir aussi gentiment ? N’a-t-elle rien d’autre à faire.
On est rentré, on a trouvé une autre salle qu’on a payé, un prix raisonnable. J’avais expliqué que personne, à Paris, ne voulait prendre notre spectacle gratuitement.
Des années plus tard, j’ai fait un conservatoire départemental pendant trois ans, puis un peu plus tard encore j’ai fait le Cours Simon, pendant 3 ans aussi… et avec toutes ces magnifiques expériences, je me suis rendu compte, qu’à 13 ans, j’avais été accueilli par Ariane Mnouchkine !
Madame Ariane Mnouchkine.
Tu as 13 ans, tu aimes faire des gâteaux au chocolat et tu rencontres Thierry Marx.
Tu as 13 ans, tu joues de la guitare et tu rencontres Paul Personne.
Tu as 13 ans, tu chantes sous la douche et tu rencontres Barbara.
Tu as 13 ans, tu dessines des petites histoires sur des feuilles et tu rencontres Marjanne Satrapi.
J’avais 13 ans, je me découvrais une passion pour le théâtre et j’ai rencontré Ariane Mnouchkine.
Ariane Mnouchkine dont j’ai eu l’immense plaisir d’aller voir 3 ou 4 spectacles une fois adulte. Mais quand un spectacle vivant t’emmène aussi loin que ceux du théâtre du Soleil, tu ne parles plus de spectacle mais d’expérience. Un terme bien grandiloquent.
Ariane est comme un fil qui nous relie au Soleil. Elle est lumineuse, mais plutôt à la façon d’un phare, pour marquer un cap, une direction.
Cette femme exceptionnelle qui m’a fait pleurer pendant 50 minutes avec le documentaire Au bord de la guerre, où à 84 ans avec sa troupe de théâtre du Soleil elle décide d’aller à Kiev pour faire vivre le théâtre, pour lutter avec les armes de la culture face aux armes des militaires.
C’est tellement beau.
Ariane Mnouchkine rappelle que la vie c’est une lutte, une lutte pour ne pas oublier que notre liberté a un prix et que ce prix parfois ce sont les armes.
Ariane Mnouchkine, ou comment être une grand artiste n’est rien d’autre qu’être une personne comme une autre
A.R. le 26/02/2024.